Giacomo Gati et Davide Lonardo, artisans-producteurs de fromages fermiers de chèvre Girgentana en Sicile.
J’ai rencontré Giacomo Gati en 2014 sur un salon à
Montpellier. Depuis, des liens solides se sont noués et lorsque je me rends à l’Azienda Montalbo
à Campobello di Licata à côté d’Agrigente, je suis reçue comme un membre de la famille.
Les chèvres Girgentana, que Giacomo a sauvées de l’extinction, ont retrouvé le paysage pastoral
de l’arrière-pays. Jusque dans les années 60, avant la généralisation de la pasteurisation et la
mise en place de règles sanitaires toujours plus contraignantes, les chevriers conduisaient leur
troupeau de Girgentana jusque sur le pas des portes et livraient le lait directement du pis au
pot ! Depuis, cette race caprine avait pratiquement disparu. Son lait est pourtant très digeste
et doux, avec un arrière-goût de fruits secs. Il se prête idéalement à la fabrication de
fromages.
Puisant aussi bien dans les recettes de la
tradition locale que chez… Pline l’Ancien, Giacomo va mettre au point des fromages étonnants où
des présures végétales de figuier et d’artichaut viennent aimablement remplacer les présures
animales. La première consécration viendra avec la création d’une sentinelle Slow Food
Girgentana. Une seconde consécration suivra avec la reconnaissance unanime de l’excellence des
fromages de Giacomo.
Giacomo n’est pas peu fier depuis que ses fromages parent les
tables françaises : « C’est comme si on m’invitait à jouer dans un groupe de jazz à la Nouvelle
Orléans ! », me lance-t-il. Reprise par Davide Lonardo et sa femme Valeria Orlando, la laiterie
Montalbo propose aujourd’hui une trentaine de fromages au lait cru de Girgentana.
Sandra Invidiata, artisan-productrice de fromages fermiers au lait cru de vaches dans le Parc régional naturel des Madonie en Sicile.
J’ai rencontré Sandra Invidiata en 2014 en même
temps que Giacomo Gati. Productrice de fromages fermiers au lait cru, Sandra a opté pour des
ferments autoproduits à la ferme qui renforcent la typicité de ses fromages. Les ferments
industriels tendent en effet à uniformiser, à standardiser les saveurs.
Lorsqu’on monte
à la ferme de Sandra située à 850 mètres d’altitude, on domine un panorama à couper le souffle.
Face à soi la méditerranée, au loin sur la gauche Palerme, tout autour de soi le massif des
Madonies. Après un diplôme d’agronomie, Sandra décide en 1995 de reprendre les 60 ha de la ferme
familiale située sur la commune de Collesano, qu’elle va conduire en bio.
Non contente de se partager entre l’élevage de ses
90 vaches laitières brunes et métisses et la culture fourragère, elle construit une laiterie,
transforme l’exploitation en ferme pédagogique et se lance dans l’agrotourisme. Ses fromages
restent pour moi, incorrigible gourmande, son « chef-d’œuvre » ! 80% de la production laitière
de Sandra est transformée en fromages à pâte filée et en ricotta. Le reste de son lait est
distribué localement.
Ses fromages à pâtes filées, les Provole delle Madonie, sont
désormais protégés par une sentinelle Slow Food. Parmi ces provole à la forme de poire si
reconnaissable, Sandra produit du provolone affiné trois mois, du caciocavallo dont la croûte
est moins épaisse que celle du précédent, de la scamorza et de la caciotta. Ses fromages, aux
saveurs douces et délicates, sont compacts, tendres et moelleux. Sandra propose ses caciocavallo
affinés sous la cendre ou fumés en fumoir, quand ils ne sont pas aromatisés aux oranges et aux
citrons du verger, ou à la manne de frêne. Sa ricotta est fumée aux herbes aromatiques du
potager.
Le parc régional des Madonies se déploie sur un territoire de 40.000 ha. Il abrite 2 600 variétés de plantes, soit 60% de l’ensemble de la biodiversité de la Sicile. Sa zone côtière est constituée de maquis et de forêts de pins. À partir de 1 500 mètres d’altitude, une vaste forêt de hêtres couvre les flancs des montagnes. Dès 1 600 mètres, elle est remplacée par de grandes forêts de chênes verts, de chênes pubescents et de chênes liège. Réservoir botanique exceptionnel, le parc abrite les 30 derniers sapins Nebrodi existants, ainsi que 70 variétés endémiques d’orchidées. On y trouve aussi le frêne à manne, ou frêne à fleurs, qui produit (après incision de l’écorce) un exsudat sucré appelé la manne – la manne de Sicile – utilisé en pâtisserie et en cosmétique. Sandra en parfume l’une de ses spécialités de caciocavallo…
Simona et Silvio Scapin, artisans-producteurs de mortadelle artisanale à Bologne.
J’ai rencontré Simona Scapin la première fois dans
la charcuterie familiale de la via Santo Stefano. Avant d’arriver, je me rappelle m’être arrêtée
devant les vitrines de bouche plus alléchantes les unes que les autres qu’offre cette artère du
centre-ville. « Bologna la grassa » – « Bologne, l’opulente » – se révélait à la hauteur de sa
réputation ! Parmesan, jambon de Parme et autres affettati (charcuteries), pâtes fraîches,
vinaigres de Modène, toutes ces spécialités régionales me faisaient de l’œil le long du
trottoir.
Je forçais l’allure, pensant à ce qui m’amenait à Bologne : la mortadella, n°1
à mon hit-parade gastronomique ! Derrière le comptoir de la boutique de poche, à mi-chemin entre
la charcuterie, le traiteur et la boucherie, la mortadelle Scapin trônait en bonne place.
L’allure du gros saucisson rose laissait présager du bon, du très bon, avec son boyau naturel
doré par une cuisson parfaite dans son emmaillotage de ficelle véritable.
Silvio Scapin, le père de Simona, est le dernier
maître-artisan charcutier à produire de la mortadelle artisanale à Bologne. Silvio est un
orfèvre. Sa mortadella suit à la lettre la véritable recette du gros saucisson. Il n’utilise que
les morceaux nobles du cochon. Les animaux proviennent d’élevages locaux conduits en bio. Et, il
ne laisserait à personne le soin d’assaisonner à sa place la mixture carnée d’un mélange
d’épices dont il tient la composition secrète. Les arômes artificiels sont bannis. Les boyaux de
ses saucissons sont en vessie de porc véritable. Ses saucissons cuisent tout doucement (environ
24 heures) à cœur, à basse température (75°).
Résultat, la mortadelle de Silvio à un
goût de revenez-y !
Enfant de la génération 2.0, depuis que Simona gère l’entreprise
familiale, la réputation de la mortadelle Scapin dépasse les frontières de la Botte. Simona a su
mettre en avant le savoir-faire paternel et exploiter le label « sentinelle du goût » que Slow
Food a décerné à la mortadelle Scapin.
Giuseppe Chelucci, artisan-producteur de pâtes artisanales en Toscane.
Guidée par mon GPS, j’ai fini par trouver la
fabrique Chelucci. Piteccio est un petit village perdu sur les hauteurs de Pistoia où court un
torrent et souffle une brise légère. Une situation privilégiée pour la confection des pâtes : de
l’eau pour faire tourner les moulins pour moudre la farine, de l’air pour le séchage des pâtes.
À Piteccio, le temps paraît suspendu.
Giuseppe Chelucci est la troisième génération de
pastificio à répéter les mêmes gestes depuis la création de l’entreprise familiale en 1912.
Ceint dans sa blouse blanche de laborantin, Giuseppe m’escorte pour une visite. Guère plus de
quatre employés font tourner la petite fabrique familiale. Les pâtes sont tréfilées au bronze
avec l’unique laminoir disponible. Elles sont ensuite mises à sécher dans les mêmes séchoirs
qu’au temps du père de Giuseppe. Point de minuterie pour décider du temps de séchage, les pâtes
y sèchent à leur rythme (en moyenne six jours contre deux heures pour les pâtes industrielles) à
une température maximum de 38 degrés. Elles sont alors prêtes à être empaquetées à la main.
Guiseppe achète son blé à des cultivateurs de Pistoia qui cultivent d’anciennes variétés de blé dur tel que le blé senatore cappelli. Ce blé a la particularité de ne nécessiter aucun pesticide. Malgré la taille réduite de l’entreprise, de nombreuses variétés de pâtes courtes et longues, au blé dur et aux œufs sortent chaque jour de chez Chelucci. Il n’y a pas si longtemps, la mère de Giuseppe – mamma Dina – cent deux ans au compteur, mettait encore la main à la pâte pour l’empaquetage des papardelle, des nidi (nids) di tagliatelle, des riginette, des casarecci et autres spaghettis extra-longs. Les pâtes artisanales de Guiseppe seraient-elles gage de longévité ?
Antonio Fasolo, artisan-producteur d’olives taggiasche au domaine Terre Taggiasche en Ligurie.
Le chemin qui m’a conduite jusqu’à Antonio Fasolo
est à l’image de la petite route serpentine qui mène au domaine Terre Taggiasche à Chiusanico
sur les hauteurs d’Imperia. Un de mes clients désirait de belles olives vertes dénoyautées bio.
Après des recherches poussées, j’ai donc atterri au domaine Terre Taggiasche.
La
première chose qui frappe en arrivant chez Antonio Fasolo est la mer ondoyante d’oliviers
cultivés en terrasses. Les branches des arbres semblent toucher le ciel, telles les cimes des
Appenins ligures alentours. On devine la méditerranée au loin sans la voir. Il se dégage du lieu
un sentiment de paix. Le vieux frantoio (moulin pressoir) en pierre, toujours en activité,
semble sans âge. À l’automne, les terrasses d’Antonio se couvrent de filets. Munies de longues
gaules souples pour ne pas abimer les olives, tous les bras disponibles secouent les branches
pour y faire tomber les olives. Comme le laisse deviner la géographie des lieux, la récolte est
entièrement manuelle.
Point de place pour un tracteur ici ! Quand elles
ne sont pas aussitôt emmenées au pressoir, les olives taggiasche d’Antonio sont dénoyautées et
mises en bocaux, ou transformées en tapenades, pâtés et autres sauces. La petite entreprise
familiale tourne ainsi, comme protégée des soubresauts du monde, depuis trois
générations.
Ce que j’apprécie particulièrement chez Antonio est son ouverture d’esprit
et sa flexibilité. Il prend toujours en compte les remarques des clients. Désormais, ses tomates
séchées sont moins salées et mieux adaptées au goût français.